Expansion mondiale
Environ une année plus tard, je faisais partie du personnel du département de construction et de génie civil en qualité de secrétaire. Le département rassemblait environ une centaine de personnes –dessinateurs, ingénieurs, architectes, secrétaires etc. –tous impliqués d'une manière ou d'une autre dans le génie civil, le dessin et la construction de nouveaux bâtiments ou la rénovation d'anciens édifices utilisés par les Témoins de Jéhovah dans le monde entier, lorsque les Témoins étaient considérés comme l'une des religions à l'accroissement le plus rapide.
Peu de temps après mon arrivée dans ce département, la société Watch Tower entra en possession d'une grande surface de terrain à Patterson, dans l'Etat de New York. Au début la société ne savait que faire de cette propriété, puis elle décida après quelques temps d'y implanter un centre d'enseignement. Le montant original consacré au développement du centre, je l'avais entendu, représentait cinquante millions de dollars. Quand j'ai quitté la construction et le génie civil, en 1989, cent millions de dollars avaient déjà été dépensés, alors que l'extension du complexe était loin d'être terminée, les opérations à Brokklyn diminuant considérablement. Bien que les bureaux du Collège central des Témoins de Jéhovah soient toujours situés à Brooklyn, le site de Patterson est devenu le centre (hub) d’où les responsables dirigent l'organisation mondiale.
La construction d'un édifice de 30 étages au bord de l'eau.
Par la suite j'ai été affectée comme secrétaire à l'un des architectes, un ancien missionnaire, qui a dressé les plans du bâtiment résidentiel de trente étages pour le personnel. Un après-midi, alors que j'attendais, seule, un ascenseur dans l'immeuble administratif de la Watchtower, où je travaillais, John ("Jack") Barr, un des membres du Collège central, s'approcha de l'ascenseur également. Pendant que nous attendions, Jack me posa quelques questions à propos de mon travail. Je lui dis combien notre groupe de génie civil se dépêchait pour compléter la déclaration concernant l'impact sur l'environnement (EIS). Nous devions retourner les informations contenues dans le volumineux document EIS à la municipalité de New York, qui allait statuer sur notre demande de changement d'attribution de zone pour l'emplacement choisi par l'organisation Watch Tower pour construire l'immeuble résidentiel de 30 étages. Il y avait une importante opposition communautaire à propos de l'édification de ce grand immeuble dans cette partie de Brooklyn donnant sur l'East River, lower Manhattan et Wall Street, cette construction masquerait définitivement ce fameux coup d'œil.
Je n'oublierai jamais ce que Jack m'a dit ce jour là, "Nous avons débloqué cinquante millions pour ce projet, et miraculeusement le montant de notre compte bancaire n'a jamais baissé." Et il a ajouté, "Jéhovah pourvoit toujours!" tout en mimant avec sa main droite une ligne horizontale imaginaire tirée de gauche à droite indiquant le niveau du compte restant stationnaire. Cependant, Jéhovah n'a pas approuvé le changement de zone. L'immeuble résidentiel a finalement été construit quelques blocs plus à "l'intérieur", près des ateliers de la société Watchtower, loin de ce qui était considéré comme un emplacement idéal.
Des possibilités de faire des recherches.
Depuis que Brooklyn Heights, district de Brooklyn, où les immeubles de la Watchtower sont situés, est considéré comme une zone historique, tout nouveau bâtiment, ou tout immeuble rénové, doit respecter certains critères architecturaux définis par l'association locale de la protection des sites. A un certain moment, une part importante de mon travail incluait la recherche historique locale et les questions architecturales afin de satisfaire à ces conditions. Les codes de restauration étaient si stricts que nous avons été obligés de recopier le style original du numéro de l'adresse qui était apposé à la porte principale de l'hôtel Bossert. Il peut paraître aisé à de nombreuses personnes de retrouver cette information et pourtant ce n'est qu'après de longues recherches, à la société historique de Long Island, que j'ai fini par trouver une image assez ancienne représentant la façade de l'hôtel, dans un vieux magazine publicitaire. Le numéro figurant à côté de la porte de l'hôtel apparaissait assez clairement pour être reproduit sans difficulté. Après cette découverte mes capacités de chercheuse ne furent plus mises en question.
En 1989, j'ai été transférée au département de la rédaction en tant qu'assistante de recherche du responsable du personnel de rédaction, Karl Adams. Il était en train d'écrire l'histoire de notre religion qui devint finalement une chronique de sept cent cinquante pages intitulée, Les Témoins de Jéhovah –Prédicateurs du Royaume de Dieu, publiée en 1993.
Un autre responsable de la rédaction, David Lannelli, était affecté, pour travailler avec Karl, à la rédaction du livre. Au cours de ma première journée au département de la rédaction, David m'aperçut, seule, dans la bibliothèque du département de rédaction et vint vers moi pour parler. Je me rappelle clairement lui avoir dit combien j'étais enchantée d'avoir été transférée à la rédaction. Il me dit que les Béthélites étaient prêt à "tuer" pour avoir ce travail. Je pensais comprendre ce qu'il sous-entendait et je souris.
Tous ceux qui vivent au Béthel ont été choisis pour faire partie du personnel en raison de leurs excellentes qualités "spirituelles" démontrées dans leur participation au travail d'évangélisation. Au lieu d'exercer un travail de type séculaire dans le cadre du Béthel, la plupart des Béthélites auraient préféré passer leurs journées en étant totalement immergé dans un emploi "spirituel". Le département de la rédaction était le centre de toutes les activités du Béthel parce que la littérature de la Watchtower représentait la colonne vertébrale de cette religion; donc je savais qu'un emploi au département de la rédaction était un poste très convoité.
David avait remarqué mon sourire et il répéta ses mots, avec plus de conviction. Il déclara, "Je sais que des Béthélites iraient jusqu'à tuer pour le poste que l'on t'a octroyé ne l'oublie pas!" Troublée par sa déclaration et reprenant mon sérieux, je discutais brièvement avec lui avant de reprendre mon chemin pour sortir de la bibliothèque, perdue dans mes pensées et me demandant, la raison première de mon affectation auprès de Karl.
Je me rappelais les mots de David bien plus tard quand je me demandais ce que j'avais bien pu commettre de mal aux yeux de Dieu pour avoir été transférée dans ce département. Oui, je travaillais avec de nombreuses personnes extraordinairement bonnes, personnes que je considérais comme mes amis. Mais derrière ce tableau idyllique, certains me souhaitaient du mal et essayaient de saboter mon travail parce qu'ils voulaient prendre ma place; ou voulaient me voir déguerpir de peur que je ne découvre leur malhonnêteté. Naïve, j'excusais ces personnes amicales et serviables, en apparence du moins; peu de temps après elles m'entraînèrent à commettre un faux pas qui me valu des reproches de Karl. Environ deux ans plus tard, une situation particulièrement difficile au sein de la rédaction entraîna le déplacement d'une jeune femme du département; Karl me déclara qu'elle n'était pas l'amie que je voyais en elle, mais elle m'en voulait d'occuper un poste tant convoité par elle. Oui David avait bien raison, certaines personnes auraient été prêtes à tuer pour prendre mon poste.
En dépit de ces quelques aspects négatifs, le travail journalier au département de la rédaction était excitant; mon travail était un défi permanent rempli d'activités variées. Chaque semaine, Karl me donnait une liste de questions pour lesquelles il désirait une réponse, la plupart concernant l'histoire des débuts de la Watch Tower Bible and Tract Society, dont les origines remontent en 1879. Pour ce faire j'ai lu de nombreux documents à propos de ma religion. Souvent, alors que je recherchais quelque chose de bien spécifique, je découvrais d'autres documents archivés depuis longtemps dans de vieux meubles à différentes places et totalement oubliés.
Des découvertes surprenantes
Je fis une découverte étonnante, c'est en fait William H. Conley, d'Allegheny, banquier de Pennsylvanie –et non Charles Taze Russell – qui a été le premier président de la Watch Tower, association créée en 1881. C'était une découverte palpitante, car personne au siège principal ne savait que Conley était le premier président, ou que le père de Russell, Joseph, en était le vice-président et Charles Taze Russell le secrétaire trésorier. La nomination dépendait du nombre d'actions, de $10.00 pièce, détenues par chacun. Comme j'ai transmis le document presque immédiatement, je ne suis pas certaine du nombre exact d'actions achetées par Conley, mais je pense qu'il s'agissait de 350 actions pour $3,500. Cependant, je me rappelle que Joseph Lytel Russell acheta 100 actions pour $1,000.00 et Charles Taze Russell 50 actions pour $500.00. Quand j'ai regardé, plus tard, à la page 576 du nouveau livre de l'histoire des Témoins mentionnant les informations concernant Conley, j'ai constaté que, curieusement, Karl Adams n'avait pas inclus le fait que Joseph Russell était vice-président. Le nombre d'actions détenues par chacune des trois personnes n'était pas indiqué.
Ces faits importants étaient notés sur la première page d'un petit carnet de comptabilité recouvert d'une feuille cartonnée rouge, j'ai trouvé dans ce carnet, également, la charte de l'organisation écrite à la main. Le papier avait 2 plis, les parties supérieures recouvrant les parties inférieures. L'examen de l'écriture penchée ne laissa aucun doute en mon esprit, c'était bien Maria, la femme de Charles Taze Russell qui avait écrit cette première charte. J'avais trouvé ce petit carnet dans une vieille chemise en papier dans un meuble classeur, posé à même le sol dans une chambre forte au milieu du département de trésorerie de la Watchtower au 25 Columbia Heights.
Au cours d'une de mes fréquentes incursions dans les vieilles archives au quartier général de la Watchtower, je découvris au fond d'un vieux meuble de la salle du classement du département exécutif, un vieux sac, en papier brun, fermé par une ficelle. Le sac contenait une transcription du procès-verbal du fameux procès canadien de 1913, intenté pour diffamation par le Pasteur Russel contre le Révérant J.J. Ross. Quand le cas passa devant le grand jury le 4 avril 1913, aucune jugement n'a été pris car il n'y avait pas suffisamment de preuves pour être présenté devant la cour et le cas a été abandonné (Brooklyn Daily Eagle, 8 juillet 1916 page 12). Récemment j'ai entendu que quelques années auparavant le département de rédaction détenait dans ses archives une copie de la transcription du procès-verbal, mais qu'elle avait disparu. Je sais cependant, avec certitude, qu'une copie de mes découvertes dans les archives de la Watch Tower a été faite à l'usage de Karl, répondant à la question importante posée par une Cour de justice canadienne, et qui a intéressé beaucoup de chercheurs –à savoir, qu'a répondu le Pasteur Russell lorsqu'on lui a demandé si il lisait ou non le grec? J'ai donné le sac avec son contenu, si important, sans avoir lu aucun de ces documents. Ce qui est étonnant, c'est qu'à aucun moment Karl ne fit de commentaires, ni n'écrivit une seule ligne dans le livre de l'histoire de la société sur ce remarquable procès pour diffamation qui avait fait les grands titres des principaux journaux canadiens de l'époque.
Dans le même vieux meuble, dans un autre sac en papier, fragilisé par le temps, il y avait environ une centaine de lettres jaunies par le temps, de même forme et de même longueur dont personne, à ma connaissance, n'a entendu parler. Les lettres ont été écrites pour répondre à une demande de Rutherford, désirant avoir le récit des persécutions subies par les Etudiants de la Bible (comme on appelait alors les Témoins de Jéhovah) durant la première guerre mondiale. Dans ces lettres les Etudiants de la Bible expliquent que le refus de saluer le drapeau ou de participer à l'effort de guerre leur valurent d'être sévèrement battus, d'être enduits de goudron et recouverts de plumes, et emprisonnés sans autre forme de procès. (Rutherford a reproduit plusieurs de ces lettres dans le magazine de la société Tour de Garde L'âge d'Or du 29 septembre 1920 [en anglais], appelé plus tard Consolation et de nos jours Réveillez-vous!) Grâce à ce sac, j'ai pu apporter des lettres importantes et des documents oubliés ainsi que des coupures de presse fort intéressantes, tous révélant des événements de cette époque difficile.
Je découvris, dans la même partie du bâtiment, dans quatre tiroirs de vieux bureaux, un tas de photos et cartes postales diverses. Il y avait aussi bien des photos d'anciennes assemblées, que des photos prises par des professionnels et des amateurs, du troisième président de la Watchtower, Nathan H, Knorr; parmi les cartes postales adressées à Knorr il y en avait une de sa femme, Audrey, avant qu'ils se marient. Il y avait également des photos et un portrait immaculé, jamais reproduit auparavant, de Charles Taze Russell photographié en studio. Une trouvaille importante, soit six photos jamais présentées, montrant l'intérieur et l'extérieur de la première Maison de la Bible de Russell; sur de nombreuses photos on voyait le Pasteur Russell assis à son bureau dans sa bibliothèque.
Je découvris dans l'un de ces tiroirs des photos personnelles du second président de la Watchtower, Joseph F. Rutherford, photos que j'ai considérées comme la découverte la plus désagréable et la plus répugnante. Rutherford était revêtu d'un maillot de bain moulant de couleur foncée, sans manches, qui le couvrait jusqu'aux cuisses, comme les gens en portaient à la fin des années 1920, début des années 1930. Il avait un gros ventre, l'air heureux s'ébattant joyeusement dans un patio, large, face à l'océan. Il me semble qu'il y avait d'autres personnes, sur quelques photos, allongées dans des chaises longues. La photo que je n'oublierai jamais était un plan rapproché du visage de Rutherford; il était à quelques centimètres de la caméra tirant la langue en direction de l'objectif. Il avait l'air ivre.
C'est à cette époque que j'ai été "visiter" un grand meuble à dossiers dans le bureau du quatrième président de la société Watch Tower, Fred Franz, qui était alors un vieillard fragile et aveugle n'utilisant plus son bureau depuis longtemps; je trouvais une lettre du président Rutherford, adressée à Franz, datant de la fin des années 1930. Une lettre contenant une question que Rutherford posait à Franz, lui demandant de répondre pour une prochaine édition du magazine La Tour de Garde. Dans chaque Tour de Garde il y avait une colonne contenant une réponse de Rutherford à une question biblique spécifique. Cette lettre me confirma que Franz, qui avait rejoint, en 1926, l'équipe de la rédaction en tant que chercheur et rédacteur pour les publications de la société, était bien l'auteur des réponses, aux questions émises par Rutherford, même si ce dernier s'en attribuait la paternité. La lettre était vraiment spécifique. On ne demandait pas à Franz de poser une question, mais de répondre à un point particulier qui serait traité dans une colonne de la Tour de Garde. Cela m'amena à me poser la question suivante: sur les vingt trois livres et les soixante huit brochures attribués à Rutherford, comme auteur, combien Franz en a-t-il réellement écrits?
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